Mercredi des Cendres – année A
Charles de Foucauld a écrit cette réflexion le jour du Mercredi des Cendres
Mon Seigneur Jésus, voici la dernière nuit que vous allez passer à Nazareth avant votre baptême, la dernière nuit de votre vie cachée, la dernière nuit de cette première partie de votre vie, de votre tranquille et douce obscurité de Nazareth… Encore une nuit à passer en prière avec la très sainte Vierge comme vous en avez tant passées, et puis ce sera fini pour jamais… Vous passerez encore des nuits en prière, des nuits en prière avec votre mère, mais plus jamais dans cette obscurité, dans cette retraite, dans cette solitude non seulement du lieu mais de l’âme, inconnu à tous excepté à elle, oublié de tous excepté d’elle… La volonté de Dieu se fasse… quelle qu’elle soit, elle est bénie… C’est le bien qui sortira de ces douleurs, la gloire de Dieu ; pour qu’il soit servi, que vous soyez aimé, il faut que vous vous fassiez connaître… et puisque vous vous êtes fait homme, ô mon Seigneur, il faut que vous souffriez, puisque c’est une loi universelle depuis Adam que les hommes ne peuvent faire du bien sur la terre qu’au prix de beaucoup de peine, « à la sueur de leur front »… Demain matin vous quitterez cette bourgade qui vous a abrité, caché, possédé trente ans… Quel serrement de cœur pour votre mère, qui voit en frémissant l’avenir, la carrière qui s’ouvre devant vous ; pourtant elle est résignée : elle adore, accepte, aime la volonté de Dieu : mais tout en voulant à plein cœur tout ce que Dieu veut, même vos douleurs, comme elle les souffre de tout son cœur aussi… Et vous, mon Dieu, vous partirez à la fois triste et joyeux, joyeux d’offrir à Dieu ce sacrifice complet, joyeux de Lui donner une telle gloire, joyeux de faire ce bien aux hommes : « vous êtes si pressé d’être baptisé de ce baptême de votre sang ». Vous désirez « d’un si grand désir » en être à votre dernière Cène… Vous êtes triste, cependant, de la tristesse de votre mère… triste aussi de cette tristesse qui voile si souvent votre visage en vos jours mortels, à la pensée du grand nombre des âmes que votre sacrifice ne sauverait pas, de ce grand nombre de vos enfants perdus pour toujours, et de la mer de péchés et de douleur qui inondent le monde… triste enfin de cette tristesse qu’éprouve la nature humaine la plus parfaite en quittant, surtout en quittant, pour un si grand changement de vie, les lieux où ont été coulés des jours paisibles et heureux entre des êtres aimés. Vous avez parcouru tant de fois ces lieux, enfant, adolescent, homme, entre Marie et Joseph ! Comment ne seraient-ils pas chers à votre cœur si tendre ! Vous y avez tant de fois adoré, contemplé votre Père, vu le ciel ouvert… Comment le souvenir de ces douceurs célestes, attaché à ce coin de terre, ne vous attendrirait-il pas?… Mon Seigneur Jésus, faites-moi passer cette dernière nuit entre vous et votre mère et faites-la moi passer de manière à vous consoler le plus possible, je vous le demande de tout mon cœur, en vous, par vous et pour vous.
Amen.
O Mère bien-aimée, appuyez ma prière auprès du Cœur sacré de Jésus[1].
[1] C. de Foucauld, Considérations sur les fêtes de l’année, Nouvelle Cité, Paris 1987, 142-143.